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La pêche à Beyrouth, une tradition qui peine à se maintenir

 

L’activité bat de l’aile au Liban. Les pêcheurs disposent non seulement de faibles moyens, mais sont également confrontés à l’impact de la pêche illégale et de l’expansion urbaine. 2019, Beyrouth

Il est cinq heures, Beyrouth s’éveille. Tandis que les coureurs investissent la corniche, les pêcheurs partent en mer. Beyrouth comprend trois principaux ports de pêche, l’un à Ouzaï, au sud de la capitale, un autre à Dora, au nord, et le troisième à Manara. Aux alentours de 5h45, la mer est couverte de petites embarcations. Les pêcheurs tentent une première fois leur chance jusqu’à midi puis repartent en mer vers 16h, et ce jusqu’au coucher du soleil. Certains travaillent même la nuit. Hasan, tout comme ses frères, possède un bateau au port de Manara. « On nomme notre port le port “chic” de Beyrouth », explique-t-il en garant son scooter. Cette appellation provient du fait que les pêcheurs disposent de petites cabines qui comprennent des douchettes et un espace de rangement. « C’est aussi parce que l’on nettoie régulièrement le port, qu’on le garde propre. Regardez l’eau; ici, il n’y a pas de flaques d’huile de moteur ou de déchets » nous montre-t-il. Hasan a la trentaine et pêche depuis qu’il est petit, une activité transmise par son grand-père à son père, puis à ses frères et lui-même comme la plupart des pêcheurs ici.

 

 

Vivre de la pêche au Liban

Toutefois, la pêche demeure pour lui un sport, un loisir, et non un métier à plein temps. Il ne pourrait en vivre et multiplie alors les petits boulots. Ils sont environ une soixantaine d’hommes à avoir un bateau de pêche enregistré au port de Manara, dont six qui se rendent tous les jours en mer, la pêche étant leur principale source de revenus. La pêche est un moyen de subsistance pour Mohammad, Khaled, Abdel Razzak, Haïtham et Ahmad. Leurs revenus mensuels s’élèvent à 600 dollars et peuvent atteindre 1 200 dollars lorsque la saison est propice à une pêche régulière et de qualité. Toutefois, leurs dépenses quotidiennes en essence représentent en moyenne 35 dollars, alors qu’il faut déjà compter 200 dollars par mois pour l’équipement élémentaire. « Il est devenu très difficile de vivre de la pêche. Ce n’est pas rentable », explique Hasan, qui a ouvert une boulangerie à Istanbul et possède un petit magasin pour l’installation de réseau sans fil chez des particuliers.

Les pêcheurs vivent au rythme de la mer, des saisons et donc des poissons qui ne mordent qu’à certains horaires, tôt le matin et lorsque le soleil se couche. Cela signifie également que certains mois seront creux, obligeant ces hommes à faire des économies pour le mois suivant. La saison des thons est une aubaine pour les pêcheurs qui ne ratent pas un seul jour en mer, de juillet à septembre. Un kilogramme de thon blanc est vendu à partir de dix dollars aux fournisseurs qui ensuite le revendent aux grandes surfaces ou aux restaurants. En moyenne, les pêcheurs gagnent pour chaque kilo de poisson vendu entre six et dix dollars, rarement plus.

 

 

 

Un soutien inexistant

Dans ce contexte, les pêcheurs de Beyrouth sont-ils voués à disparaître? Et ce d’autant plus qu’ils disposent de très peu de moyens et d’aide financière de la part du gouvernement. « Nous payons des taxes pour avoir notre bateau au port. Pourtant, nous n’avons rien en échange, surtout en cas de tempête, si jamais il faut rénover le port », souligne Hasan.

Autre problème, les pêcheurs se voient souvent privés de nombreux sites sur la côte à cause de la privatisation de celle-ci, comme au niveau de l’ancien port de Dalieh. L’exploitation privée du domaine maritime public ronge toute la côte et représente un fléau considérable pour les pêcheurs. Le décret 169 de 1988 pose problème à ce niveau-là en ouvrant la voie à la privatisation du littoral de Beyrouth, de Ramlet el-Baïda à Manara, en passant par Dalieh. Certains d’entre eux, expulsés du port de Dalieh, se trouvent désormais au port de Manara, comme Haïtham, qui dit n’avoir « plus rien ». De la même manière, un grand nombre de pêcheurs d’un certain âge se retrouvent au chômage à cause de la fermeture du port de Dalieh. Les autres ports sont en pleine capacité et ne peuvent pas accueillir davantage de bateaux. Le port de Dora est également menacé depuis quelque temps. La décharge de Bourj Hammoud, non loin du port, fait désormais partie intégrante du quotidien des pêcheurs. Les camions effectuent des allers-retours incessants, chargés à bloc de déchets desquels émanent des odeurs nauséabondes. Aux côtés des pêcheurs, une montagne de déchets semble pouvoir les engloutir à tout moment.

 

 

 

 

Une tentative de résistance

À plusieurs reprises, les pêcheurs ont exprimé leur mécontentement et dénoncé les conditions de travail inacceptables du fait de la réouverture de cette décharge, mais les pouvoirs publics n’ont rien voulu entendre. Désormais, c’est un projet de construction d’un complexe hôtelier qui porte directement préjudice au port de Dora, le plus important en termes d’effectifs. La concurrence déloyale affecte également les activités des pêcheurs. Hasan pointe du doigt un bateau : « Tu vois cette embarcation qui vient de passer ? Ceux comme lui ne respectent pas les règles. Ses filets ne laissent passer aucun poisson, même les plus petits dont se nourrissent les poissons que l’on pêche. À cause d’eux, nos poissons disparaissent », poursuit-il. Des normes sont fixées en termes de tailles réglementaires de filets et de poissons autorisés à être pêchés par des lois qui régissent la pêche, mais les contrôles sont rares et la loi rarement appliquée.

La pollution maritime est un autre problème réel pour les pêcheurs qui subissent l’arrivée d’une nouvelle espèce, les poissons-globes, dont la présence est catastrophique. Cette espèce aurait été introduite, selon les pêcheurs, par le gouvernement qui pensait alors qu’elle assainirait les eaux. Sauf qu’elle a rapidement proliféré et mange tout sur son passage: poissons, mais aussi appâts qui coûtent aux pêcheurs en moyenne dix dollars l’unité. Beaucoup de poissons ont disparu alors qu’ils assurent l'équilibre de tout un écosystème fragile. Cette situation pousse une partie des pêcheurs libanais à aller jusque dans les eaux internationales, à la frontière des eaux territoriales chypriotes.

Dar el-Amal, une lueur d’espoir pour les femmes victimes de violence et entraînées dans la prostitution

Depuis sa création en 1969, l’ONG Dar el-Amal – « le foyer de l’espoir » – lutte pour les droits des enfants et des femmes victimes de violences, d’abus et d’exploitation. Alors que la campagne « Ensemble contre la traite d’êtres humains » a été lancée le 9 août par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) de concert avec l’organisation Justice sans frontières, Dar el-Amal lutte depuis plus de 50 ans contre le trafic sexuel au Liban où la législation en la matière présente de fortes lacunes.

2019, Beyrouth

Une violence d'origine familiale, multipliée par la pauvreté et l'impunité

« Dar el-Amal est l’une des seules associations qui s’attaquent directement à la violence que subissent les femmes contraintes de se prostituer », explique Hoda Kara, directrice de l’ONG. « La prostitution est encore un sujet tabou au Liban », ajoute-t-elle. À l’origine, l’histoire de Dar el-Amal a débuté dans le quartier de Zeitouné à Beyrouth, autrefois prisé pour ses maisons closes. Depuis la fermeture de celles-ci, une « prostitution informelle » s’est développée à la périphérie de Beyrouth et à travers le Liban, d’autant plus que "le nombre de réfugiés syriens qui se prostituent et sont abusés sexuellement au Liban a augmenté", comme le souligne la Fondation Scelles.

Parmi les 1,5 million et quelque de réfugiés syriens au Liban, le taux de femmes et d’enfants est de 78 %, selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Malgré la loi 164 contre le trafic d’êtres humains au Liban adoptée en 2011, le trafic sexuel des femmes et des enfants perdure.

« La dislocation familiale est la première cause qui entraîne certaines femmes à se prostituer », estime Hoda Kara, directrice de l'association. « Ce facteur s'ajoute à d'autres: la pauvreté, la discrimination et les violences auxquelles les femmes sont confrontées », souligne-t-elle. Ainsi, un cercle vicieux s’opère et empêche ces femmes de trouver une alternative pour subvenir à leurs besoins et parfois ceux de leurs enfants, « d’autant que la loi n’est pas toujours appliquée en raison du contexte politique et institutionnel instable », ajoute Mme Kara.
Parmi les jeunes femmes qui ont trouvé refuge à Dar al Amal on retrouve Jenna* 30ans. Elle a « vécu l’enfer » et accepte de témoigner.  Tout débute lorsqu’elle avait 7 ans, époque à laquelle son père se remarie avec une femme qui la bat. Jenna est contrainte de fuir le domicile familial, en Syrie, son pays natal, pour se rendre au Liban où elle espère avoir une vie meilleure.

Son premier mariage, qu’elle pense, un temps, être synonyme de stabilité, ne met malheureusement pas fin à son calvaire. Âgée de seulement 17 ans, Jenna est contrainte de s’enfuir à nouveau alors qu’elle est enceinte d’une petite fille. Son second mariage n'est pourtant pas annonciateur de la paix tant attendue. Si le nouvel époux de Jenna accepte de reconnaître l’enfant né du premier mariage, Jenna doit en contrepartie rapporter, chaque jour, 100 dollars à la maison. Pour ce faire, l’homme l’envoie de force dans la rue pour qu’elle se prostitue.

La plupart des jeunes femmes que Jenna a côtoyées dans la rue avaient à peine 16 ans, et certaines femmes se voyaient obligées de prendre leurs enfants sur leur lieu de travail. Jenna fut contrainte de se prostituer durant sept années au cours desquelles elle a tenté de se suicider. La jeune femme est néanmoins parvenue à s’en sortir le jour où une collègue l’accompagna à Dar el-Amal en vue d’une prise de sang pour s’assurer qu’elle n’avait pas attrapé d'IST.

Aujourd’hui, Jenna assure des formations au centre de Sin el-Fil et retrouve peu à peu une certaine forme de stabilité et de sécurité. « C’est un exemple de réussite au sein de Dar el-Amal, elle fait désormais partie des membres de l’ONG », confie, le sourire aux lèvres, Hoda Kara.

Tina, nouvellement arrivée à Dar el-Amal, n’est pas encore parvenue à sortir de la prostitution. Tout juste âgée de 25 ans, elle est arrivée au Liban depuis la Syrie, d’où elle est originaire, alors qu’elle avait à peine 20 ans. Son douloureux périple trouve sa source dans une situation familiale difficile.

Issue d’une famille recomposée, sa mère lui fait subir un mariage forcé lorsqu’elle n’a que 12 ans. Son époux a 18ans de plus qu'elle. À ses 13 ans, ses parents l’introduisent dans une maison close. Puis sa mère l’envoie au Liban afin qu’elle puisse gagner davantage d’argent.

Aujourd’hui encore, elle porte les stigmates physiques et psychologiques de ce calvaire. « L’hiver, le proxénète me plongeait dans de l’eau glacée puis me laissait dehors, debout… Cela l’amusait », raconte Tina. Au Liban, Tina se retrouve seule dans un pays inconnu. Elle rencontre un proxénète qui l’épouse et la fait travailler dans un réseau de prostitution. « Mon but ultime était d’envoyer assez d’argent à ma fille de 4 ans restée en Syrie et issue d’un second mariage. Le père de l'enfant a fui en Turquie sans reconnaître l’enfant », confie-t-elle. En travaillant deux fois par semaine, elle parvient à amasser environ 600 dollars à la fin du mois, assez pour subvenir aux besoins de sa fille. D’autant que sa rémunération représente la seule source de revenu au sein du foyer conjugal.

Son époux, de qui elle tente de divorcer, aidée par le HCR, ne travaille pas. C’est à Tina de le fournir en cigarettes, par exemple, de faire les courses et le ménage tous les jours.

L’emprisonnement, un risque omniprésent
Survivante de multiples abus verbaux et physiques, c'est pourtant Tina qui est envoyée en prison pour une peine de 3 mois pour "usage de drogues et prostitution". La drogue fait partie intégrante de ce milieu et il est difficile d’y échapper « car cela permet de fuir la dure réalité à laquelle on est confrontées », explique-t-elle. C’est durant son incarcération à la prison de Baabda qu’elle entend parler de Dar el-Amal. Jusqu’à présent, l’association lui a permis de faire les démarches nécessaires afin de s’enregistrer auprès du HCR et d’obtenir des papiers d’identité pour sa fille. L’association lui vient également en aide à travers les services proposés sur le plan psychologique, mais aussi alimentaire, sanitaire et administratif. Parmi les ex-prisonnières que l’on retrouve au centre de Sin el-Fil, certaines ont écopé de plusieurs mois, voire de nombreuses années de détention pour des délits mineurs, mais aussi pour usage de drogues et prostitution. Une fois par semaine, les psychologues et assistantes sociales qui travaillent au sein des prisons pour femmes se retrouvent au centre de Sin el-Fil pour une réunion. On dénombre au total quatre prisons pour femmes au Liban dont trois dans lesquelles se rend Dar el-Amal, à savoir celles de Tripoli, de Baabda et de Zahlé.

La prison est un milieu dans lequel les femmes sont exposées à une forte violence. « D’abord parce qu’elles ont vécu des situations très difficiles », déclare Josiane, psychologue à la prison de Zahlé, « mais aussi parce que les prisons sont surpeuplées, ce qui explique en partie les accrochages fréquents entre les détenues et avec les gardiennes qui se trouvent également dans une situation très précaire », poursuit-elle.

Une grande majorité de ces femmes proviennent de milieux extrêmement défavorisés et sont donc pour la plupart illettrées. Parler, échanger, s’exprimer avec d’autres femmes ayant vécu un traumatisme semblable au leur les aide à remonter la pente. A leur sortie de prison, ces femmes peuvent se rendre aux thérapies de groupe dispensés par l’association Dar el-Amal. Le suivi de ces femmes à leur sortie de prison ou lorsqu'elle parviennent à quitter la rue est une étape clef de leur accompagnement.

En ce jour d’août, neuf femmes sont présentes lors de cette séance de « conscientisation » animée par Maissam, psychologue au sein des institutions pénales. Dans une ambiance conviviale, chaque femme prend la parole et rapidement la discussion se mue en un débat dont Maissam se fait la médiatrice. Les femmes rient avant de reprendre leur sérieux pour partager leurs expériences personnelles autour du thème des violences conjugales. « Mon mari me bat, il me frappe constamment », confie l’une d’elles. « Mon mari a épousé une quatrième femme et prétend que ce n’est pas un problème puisque la religion le permet », confie une autre femme avant de céder la parole à une troisième qui dénonce le comportement de son époux qui la trompe avec des travailleuses du sexe. Toutes s’écoutent, s’encouragent et font part de leurs points de vue. Le besoin de parler est fort dans la salle. Ces femmes discutent d’un sujet qui les touche toutes : le harcèlement constant d’hommes insistant pour les rémunérer en échange de rapports sexuels.

Romy, de nationalité libanaise, accepte de témoigner. L’une des plus actives dans les thérapies de groupe, Romy aime donner son avis. Fière de son fils qui aura bientôt 4 ans, elle fait défiler les photos sur son téléphone, espérant le revoir un jour. Aujourd’hui âgée de 35 ans, Romy a passé sept années de sa vie en prison pour usage de drogues et prostitution. A l'instar de Jenna, le facteur qui a déclenché son calvaire est d’origine familiale. À 14 ans, elle a commencé à subir les agressions incestueuses de son père. Mariée à 19 ans à un homme alcoolique qui la battait, Romy se demande, les larmes aux yeux, pourquoi la vie ne lui a pas été clémente. « Mon père, ensuite mon mari, et après on m’arrache mon enfant… » confie-t-elle. Lorsqu’il n’avait encore que 6 mois, son fils a été adopté car elle avait pour interdiction de s’occuper de lui. Romy a travaillé comme employée de maison, mais ce travail ne constituait pas une source de revenu assez importante. Par manque de ressources financières, elle a commencé à se prostituer. « Chaque rapport représente en moyenne 30 dollars », explique Romy. C’est aux alentours de ses 25 ans qu’elle a sombré dans l’alcoolisme et la prise de drogues, introduite dans ce milieu par des proxénètes ou des clients. Désormais, Romy tente de mettre ce passé difficile derrière elle et de s’en sortir grâce à sa « maison », l’association Dar el-Amal.

 

 

Un avenir meilleur
Le centre d’accueil de Sin el-Fil a pour objectif la réinsertion sociale de jeunes filles et des femmes anciennement ou actuellement incarcérées, prostituées ou exposées à des violences. C’est le plus ancien des cinq centres d’accueil de jour en activité dans tout le Liban. Un sixième ouvrira ses portes avant la fin de l’année à Choueifate-Amroussiyé, destiné à la protection urgente de jeunes filles mineures.

Parmi ces centres, ceux de Nabaa-Bourj Hammoud ont une approche plus préventive, s’adressant spécifiquement aux enfants et adolescents en situation de précarité et exposés à la violence. Dans le courant de l’année 2018-2019, ce sont 1 210 enfants qui ont pu bénéficier du programme scolaire dispensé par l’ONG. Celle-ci organise régulièrement des évènements afin de récolter des fonds dont Dar el-Amal dépend pour mener à bien sa lutte pour les droits des plus vulnérables. L’agrandissement du foyer à Choueifate – qui prévoit d’accueillir des femmes victimes de violences et d’abus – repose sur la générosité des donateurs.

Au centre de Sin el-Fil, deux assistances sociales procurent un soutien psychologique aux victimes et à leur famille. Le centre offre également de quoi se restaurer, se laver et se reposer, en plus des activités quotidiennes proposées, entre ateliers artistiques et de développement personnel et groupes de soutien psychologique et de soutien scolaire.

Tout, en somme, pour tenter de leur offrir un avenir meilleur.

L'architecture comme moyen de résistance

C’est à Beit Beirut, à Sodeco, que s’est ouvert en août 2019 le forum d’architecture OMRAN’19 sur le thème de l’architecture du territoire et de la planification urbaine:  une série de projets pour « construire aujourd’hui le Liban de demain ». OMRAN’19 est la première édition d’un forum d’architecture organisé par Collective for Architecture Lebanon.

2019, Beyrouth (réédition 2021)

Cet événement s'est déroulé en trois temps : le premier traitait l’espace public, le deuxième les infrastructures et le troisième la modernité, qui comprend également la rénovation de certains bâtiments et lieux publics. Architecture mais aussi urbanisme, design et photographie sont à l’ordre du jour, recoupant des disciplines aussi variées et complémentaires que l’anthropologie, le développement durable, l’économie et la sociologie.

Pendant deux semaines, des projets territoriaux ont été présentés, ainsi que des stratégies relatives à l’organisation de l’espace et de l’aménagement du territoire. Des débats et conférences ont également été organisés. En outre, des maquettes et des plans réalisés par près de 200 étudiants libanais – principalement de l’AUB et de l’Alba – et de l’étranger, sélectionnés par le collectif lors d’un appel à projets lancé quelques mois auparavant étaient exposés. Vous l'aurez compris: les jeunes sont ici mis à l'honneur à travers leur sens de l'innovation, leur créativité et leur engagement. En 2021, lors de l'explosion du port de Beyrouth, des dizaines d'ingénieurs et d'architectes libanais se sont rassemblés pour reconstruire Beyrouth ensemble, un défi de taille qui imposait une vision collective.

(Re)penser l'espace public, hautement menacé au Liban

La création de Collective for Architecture Lebanon (CAL) en avril 2019 avait été lancée par la réalisation d’un premier projet à l’entrée de la ville de Beyrouth où devait être construit un centre commercial. Le collectif avait empêché ce projet de centre de voir le jour afin de laisser place à un espace public constitué de plusieurs structures. Le projet actuel des membres de CAL porte sur le jeu comme médium de dynamisation d’un espace public. Le concept vise à rassembler et rapprocher des individus d’un même quartier dans un espace public, par exemple un parc, par l’intermédiaire du divertissement, « le jeu sous toutes ses formes, que ce soit la musique ou le sport », précise l’architecte Shereen Doummar, cofondatrice et directrice de CAL, à L’OLJ.

Comme la reconstruction de Beyrouth qui surviendra 2 ans plus tard à la suite du tragique évènement du port de Beyrouth, la participation à la réhabilitation de certains lieux tout en conservant d'anciennes façades d'avant la guerre civile fait partie d'un acte de résistance. S'engager pour la conservation de certains bâtiments et lutter contre les projets immobiliers ultra modernes et un acte de résistance au Liban où la privatisation de l'espace public grignote jour après jour à une vitesse vertigineuse les quelques espaces démocratiques restant à Beyrouth. Ces architectes de la jeune génération ont un rôle crucial à jouer et ils l'ont compris. A l'occasion de cet évènement organisé à Beit Beirut, des étudiants en architecture ou en design se sont retrouvés autour de sujets tels que la mobilité urbaine, la gestion des déchets ou encore l’érosion des sols, afin de pallier l'inaction du gouvernement libanais.

 

Un regard nouveau sur le monde arabe

La décentralisation représente un point fondamental sur lequel se focalise CAL, dans le sillon de la création, à la fin des années 1960, de la Foire internationale de Tripoli, au nord du pays. Ainsi, les projets concernent aussi bien certains quartiers de Beyrouth (Karm el-Zeitoun, Manara, el-Zeitoun..) que des quartiers périphériques comme la banlieue de Dekwaneh, la localité de Deir el-Qalaa ou des villes comme Saïda ou Baalbeck.

Le collectif ne se limite toutefois pas au territoire libanais. Sa vision régionale englobe le monde arabe et le collectif travaille étroitement avec des photographes, des architectes, des designers et des experts du Maroc ou encore de Bahreïn.   L’idée est de (re)penser la relation entre les espaces de production, d’échanges, les réseaux d’infrastructures et la gestion des ressources, enjeux considérables qui s’inscrivent dans le contexte actuel de globalisation accrue. La stratégie de CAL et de ses partenaires est de relancer l’attractivité et la fréquentation de ces lieux aussi divers soient-ils. Des projets ambitieux et innovants qui nécessitent un recensement précis des différents lieux publics – parcs, écoles, lieux de culte, hôpitaux – et infrastructures, déjà existants ou ayant un potentiel d’exploitation ou de rénovation à l’instar de certains escaliers, passages et voies piétonnes.

C’est ce que propose Sera Saad, étudiante de l’Alba, à travers son projet « 7 km à Achrafieh : redécouvrir le quartier », qui consiste en recenser les escaliers et routes praticables ou zones difficiles d’accès sur un circuit de 7 km, soit environ 1h45, et qui passe par certains endroits-clés de l’un des plus anciens quartiers de Beyrouth. Comment relier ces endroits entre eux de manière plus efficace et les mettre en valeur afin qu’ils soient réinvestis pas les habitants ? C’est l’une des problématiques à laquelle le collectif tente de répondre.

Forger le monde de demain

« On ne peut plus vivre dans le passé, au temps de “l’âge d’or” du Liban. Il serait préférable de se projeter davantage dans l’avenir et d’œuvrer pour le Liban de demain », déclare Ziad Chbib avant de féliciter une telle collaboration entre ces universités libanaises, « une première », ajoute-t-il lors du discours d’inauguration du forum.

Ces projets visent à implanter des espaces inclusifs et durables à travers des projets aussi variés que celui d’extension du canal Khaskiyeh, celui de l’aqueduc de Saïda, celui de la reforestation urbaine ou encore de la préservation de la tour Murr.

De la même manière, comment faire face à l’expansion urbaine avec la prise en compte de facteurs liés à la pollution de l’air et de l’eau ou encore le taux d’extrême pauvreté ?

L’architecture permet non seulement de répondre à des besoins en matière de logements sociaux par exemple, tout en prenant en compte des facteurs d’ordre géologique telles les failles sismiques, infrastructurel comme la présence de parkings souterrains, mais aussi de proposer des stratégies innovantes et efficaces qui s’insèrent dans une vision qui s’étale sur le long terme. Christina Battikha, étudiante à l’AUB, expose par exemple son projet « Fishermen’s city: Sustaining life in the future  » qui concerne la ville de Saïda. « Les pêcheurs sont les premiers touchés par l’érosion et la saturation des sols du fait de l’exploitation sans limite de ceux-ci », dit la jeune femme qui a imaginé une ville souterraine, à savoir des espaces d’habitation, de stockage et de production sous terre, une manière intelligente de penser la perpétuation de ce métier présent sur la côte depuis des siècles. « Vous habitez au Liban, si vous pouviez changer quelque chose dans votre ville/village/communauté… que feriez-vous ? » Cette question-ci est inscrite sur une toile tendue sur l’un des murs de l’exposition. Les réponses sont les suivantes : « Un Liban plus vert » ; « Pas de plastique » ; « Des transports publics » ;

« Des voies cyclables » ; « Changer la mentalité de certains » ; « De l’électricité pour tous » ; ou encore « Un parc place des Martyrs qui remplacerait le parking actuel ». Autant de messages porteurs de belles idées, concrètes et durables, mais qui laissent aussi transparaître des besoins communs et fondamentaux, à l’intention des autorités publiques.

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